
PROPOSITIONS DES EXPERTS CONGOLAIS EN APPUI A L’INITIATIVE DU GOUVERNEMENT DE LA RDC RELATIVE A LA FABRICATION LOCALE DES BATTERIES POUR LES VEHICULES ELECTRIQUES
Introduction
La Table ronde des experts[1] pour appuyer l’initiative du Gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) dans la fabrication des batteries pour véhicules électriques, a été organisée à Kinshasa par Southern Africa Resource Watch (SARW)[2], en date du 28 février 2022.
Dans son mot de bienvenu adressé aux experts, Dr Claude Kabemba, Directeur Exécutif de SARW a indiqué que face aux défis du changement climatique, la RDC est un pays stratégique. En tant que tel, elle doit savoir tirer profits du marché de l’économie verte qui s’offre à elle. C’est dans cet ordre d’idée que le contexte de la tenue de cette Table ronde a été donné par Me Georges Bokondu, Directeur des Programmes, SARW/RDC. Après avoir ainsi rappelé les assises de la 5e édition d’AMI organisée par SARW en octobre 2021, il a évoqué la conférence du Gouvernement congolais, DRC-Africa Business Forum, organisée à Kinshasa en novembre de la même année 2021 sur la nécessité de la fabrication des Batteries pour véhicules électriques (BVE) en RDC. A la suite des travaux de DRC-Business Forum, le gouvernement congolais avait signé un certain nombre d’engagements avec des partenaires internationaux pour lui permettre d’implanter une (des) usine (s) de fabrication des BVE localement au regard des opportunités que possède le pays.
Ainsi, l’objectif assigné à cette Table ronde de réflexion était de formuler des propositions concrètes à adresser au gouvernement afin de lui permettre de mener à bonne fin son projet de fabrication des batteries pour les véhicules électriques. Les réflexions qui y ont été menées par ces experts ont, non seulement décrit le contexte congolais en la matière, mais également cerné les défis auxquels l’Etat congolais doit faire face et formulé des propositions.
Contexte général
La transition énergétique donne une grande opportunité à la RDC de participer dans la production des batteries pour les voitures électriques et de ne plus accepter d’être exportateur des matières critiques pour l’Afrique. Cette démarche se justifie aussi du fait que l’Afrique est le continent le plus touché par le changement climatique malgré qu’il soit le moins pollueur. Si l’Afrique est plus concernée par le changement climatique, c’est dans son intérêt de considérer à participer dans la chaine des valeurs de la fabrication des BVE pour répondre au défi dont fait fasse le continent.
La RDC possède, selon les experts à cette Table ronde, des ressources minérales nécessaires pour lui permettre de réaliser le projet de fabrication locale des batteries électriques. Il s’agit du lithium, du cobalt, nickel, aluminium, manganèse. A ces métaux directement concernés dans la production des batteries électriques, il y a lieu d’allonger la liste avec ceux dont la demande est fortement tirée par la croissance de l’industrie de la mobilité électrique et pour lesquels la RD Congo peut, dans un futur proche, revendiquer une position de leader dans l’univers de la transition énergétique. C’est notamment le cuivre pour lequel le véhicule électrique fait appel à une quotité de trois à quatre fois plus élevée que son ancêtre à moteur thermique, et des terres rares dont quelques-unes sont en forte demande suite à leur intervention dans les matériaux pour fabrication des moteurs pour voitures électriques.
Pour ce qui est du cobalt et du cuivre, ils sont déjà en production et le pays est aujourd’hui au monde le principal pourvoyeur du cobalt avec plus de 70% de part de ce marché. L’exploitation du manganèse, jadis assurée par Kisenge-Manganèse, société d’Etat, devenue SCMK-M, et mise en veilleuse à la fin de la décennie 1970 à la suite de la rupture de trafic sur le tronçon du chemin de fer Dilolo-Lobito, rendu indisponible pour cause de guerre civile en Angola, pourrait bientôt reprendre si les questions techniques liées à la réhabilitation du tronçon de voie ferrée Kolwezi-Dilolo trouvent solution.
Quant au nickel et à l’aluminium, leurs gisements sont connus et localisés respectivement dans le Kasaï Central et le Kongo Central. Ils doivent être encore documentés et leur faisabilité reste à réaliser.
Pour ce qui est des terres rares, elles se retrouvent en RDC dans un minerai appelé « monazite », qui se rencontre en association avec la cassitérite dans certaines régions bien connues du Grand Kivu. La monazite a fait l’objet d’exportation par la défunte SOMINKI jusqu’au début des années 1990. Son exportation vient à nouveau d’être relancée avec un premier lot d’essai de 10 tonnes, assuré par une société canadienne au départ de Goma. La monazite de la RD Congo est surtout recherchée pour sa teneur élevée en néodyme qui est l’un de principaux composants des matériaux qui entrent dans la fabrication des moteurs pour véhicules électriques.
Défis
Malgré cette abondance des ressources stratégiques, la RDC a un grand nombre des défis à relever pour arriver à l’installation d’une industrie des BVE. La RDC est vaste, pauvre et sans infrastructures de base (chemins de fer, ports, routes, etc.) et énergétiques.
Le premier défi est celui lié aux infrastructures de production et de transport d’énergie électrique, conjugué à celui des voies de communication. Si les ressources minérales sont abondantes et existent, l’énergie pour assurer leur extraction et transformation fait souvent défaut d’une part, et les réseaux intérieurs des routes, voies ferrées et navigables pour les acheminer jusqu’aux usines de fabrication et ensuite assurer leur transport et distribution jusqu’aux consommateurs potentiels, sont soit en état de délabrement avancé, soit inexistants.
Si les ressources minérales sont abondantes et existent, l’énergie pour assurer leur extraction et transformation fait souvent défaut d’une part, et les réseaux intérieurs des routes, voies ferrées et navigables pour les acheminer jusqu’aux usines de fabrication et ensuite assurer leur transport et distribution jusqu’aux consommateurs potentiels, sont soit en état de délabrement avancé, soit inexistants.
Le second défi est lié à la gouvernance, appelée à fournir des efforts en vue d’améliorer le climat des affaires dans un pays miné par la corruption (pour laquelle des efforts sont engagés) et qui ne brille pas encore en matière de transparence dans le secteur extractif.
Le troisième défi est celui lié à la relance des explorations géologiques et de la recherche technologique en vue d’une part, d’accroître et de consolider les ressources et réserves de ces substances stratégiques et d’autre part, de positionner le pays dans le monde du développement des technologies vertes.
Selon certains experts, la demande mondiale en cobalt devrait passer de 136 100 tonnes en 2020 à 280 000 tonnes en 2030 et on devra prendre en en compte la politique de recyclage des batteries, qui se développe dans les pays industrialisés, en particulier en Europe et en Amérique du Nord.
Le 4e défis est cette tendance des chercheurs sur la diminution de la part du cobalt dans les cathodes NMC (nickel, cobalt, manganèse) qui est passée de 30 % (NMC523) à 20% (NMC622) et 10 % (NMC811). Les travaux de recherche et développement en cours s’efforcent de ramener ce pourcentage à 5% (NMC955).
Toutes les options sont analysées pour minimiser l’importance du cobalt dans la fabrication de batteries électriques. Il importe donc à la RDC d’accélérer ses initiatives afin de profiter de la situation actuelle sur le marché international.
La RDC est dans une position enviable. Il lui suffit d’un peu d’efforts et de la volonté politique pour lui permettre de pivoter vers un développement durable dans un peu de temps compte tenu de ses potentialités en ressources naturelles.
Sur le plan régional, la volonté de l’Union africaine (UA) pour répondre au défi dans le secteur minier en Afrique a été traduite par l’adoption de la Vision Minière Africaine (VMA) en 2009 par les Chefs d’Etat et des gouvernements. La VMA a déjà connu le début d’application avec le soutien de la Commission Économique d’Afrique. Un nombre des pays ont déjà aligné leur législation à la VMA.
Un des piliers de la VMA, c’est la Transformation des minerais localement. A travers la VMA, l’Afrique veut retenir sur le continent le gros de la chaine des valeurs.
La VMA prévoit aussi de créer des liens en amont et en avales avec des liens collatéraux pour assurer la diversification des activités économiques à partir des mines. La fabrication des BVE est une expression claire de la mise en œuvre de la VMA en RDC.
Propositions des experts pour mettre en place une Industrie des Batteries.
Les experts ont proposé des actions que le Gouvernement peut entreprendre dès maintenant (parce qu’il n’y a pas de temps à perdre) afin de la réussite de l’initiative de fabrication locale des BVE. Il s’agit des actions ci-après :
- Mise en place d’une cellule technique composée des experts chargés de réfléchir sur la matérialisation de l’initiative d’implantation des usines de fabrication des batteries électrique en RDC. Les missions de cette cellule seraient d’accompagner les décideurs politiques dans la mise en œuvre de la feuille de route devant conduire et aboutir à l’implantation des usines en RDC.
- Le Gouvernement congolais est appelé à faire clairement ses choix :
- se positionner dans ce secteur en Etat-entrepreneur où il serait lui-même à l’initiative en créant ses propres chaînes de production des matériaux et de fabrication des batteries pour véhicules électriques, quitte à s’associer à des partenaires privés qui resteraient minoritaires dans la structure du capital social ;
- se limiter à son rôle d’Etat-régulateur qui laisserait aux privés le soin d’organiser tout ou une partie de la chaîne de valeur de la filière, quitte à les appuyer notamment par la création des zones économiques spécialement équipées en termes d’infrastructures à cet effet.
- Le Gouvernement congolais doit procéder immédiatement à la recherche géologique des ressources indispensables pour la fabrication BVE. Il s’agit là d’un préalable à réaliser d’autant plus que l’Etat congolais n’est plus propriétaire de la plupart des métaux entrant dans la fabrication des BVE actuellement en exploitation en RDC. Ayant cédé les permis miniers détenus par les entreprises du Portefeuille de l’Etat, ces ressources sont la propriété des entreprises privées qui les exploitent et qui peuvent ainsi les vendre librement auprès de n’importe quel client, car l’Etat congolais n’est pas en partage de production pour se réserver un quelconque droit sur ces ressources. Ce qui l’oblige à investir dans la recherche exploratoire des ressources indispensables à son initiative relative à la fabrication des BVE ou encore à financer les entreprises du Portefeuille de l’Etat qui disposent encore de ces ressources dans leurs différents périmètres miniers qui n’ont pas fait l’objet de cession. Cet exercice aidera aussi l’Etat congolais non seulement à maitriser ses réserves en ressources stratégiques, mais aussi et surtout à les certifier.
Au-delà des études géologiques pour découvrir d’autres réserves minérales qui seront sous son contrôle de l’Etat :
- Le Gouvernement doit instruire les entreprises minières du Portefeuille de l’Etat à présenter l’état des lieux de leurs actifs miniers (possédant des minerais qui concourent à l’industrie de mobilité électrique (IME)) pouvant être affectés dans cette initiative de fabrication des BVE ;
- Le Gouvernement doit organiser les concertations avec les entreprises privées, productrices des métaux entrant dans la fabrication des BVE, pour les impliquer dans l’initiative de l’implantation en RDC des usines des BVE. Cette implication peut prendre la forme des partenariats public-privé dans la mise en place de l’IME ou de l’octroi des facilités aux entreprises privées pour les inciter à investir dans l’implantation des usines de fabrication des BVE en RDC ;
- Le Gouvernement doit actionner l’article 266 du Code minier qui dispose que « Le titulaire est autorisé à exporter et à commercialiser sa production au prix du marché, sous réserve du droit pour l’Etat de déterminer la quotité de production à exporter en fonction des besoins de l’industrie locale ». En application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 266 du Code minier, l’article 559 bis du Règlement minier dispose que la quotité de la production que le titulaire doit vendre à l’industrie nationale est déterminée par voie d’arrêté interministériel des Ministres des Mines et de l’Industrie, en tenant compte des besoins exprimés dans le Plan Stratégique d’Industrialisation de la République Démocratique du Congo.
- Le Gouvernement doit procéder à l’identification des compétences congolaises et la création d’une Banque des données des expertises nécessaires sur toute la chaine des valeurs qui entre dans la fabrication des BVE. Le développement des compétences nationales en la matière, à travers le renforcement des capacités nationales, la formation et le transfert de technologie par les partenaires de la RDC est une nécessité.
- Le Gouvernement doit mettre en place une Zone Economique Spéciale (ZES) pour les BVE et la doter d’une infrastructure conséquente (routes, chemin de fers, énergie et port). Il doit être en mesure d’attirer des investisseurs dans cette ZES dans les différents domaines qui entrent dans la fabrication des BVE.
- La RDC devra placer l’initiative de fabrication des BVE dans un contexte régional. L’intégration économique régionale du projet est capital de sorte à mutualiser les forces avec d’autres pays tels que la Zambie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe pour atteindre l’objectif de la fabrication locale des BVE le plus vite possible.
- Pendant que son objectif majeur est la fabrication des BVE, l’approche du Gouvernement doit être pragmatique. Commencer modestement avec des activités pour lesquelles il dispose des capacités notamment la production des composantes des BVE que la RDC peut exporter au reste du monde à travers les compagnies privées. L’Etat doit également mettre en place une institution de contrôle de la qualité des produits locaux pour les rendre compétitifs sur le marché international.
Conclusion
Pour réussir ce pari, le Gouvernement doit améliorer le climat des affaires en sécurisant notamment les investissements privés destinés à ce projet et à d’autres. Il doit améliorer la collaboration entre les institutions, c’est-à-dire le maintien de l’unité de commandement au sein du Gouvernement. Il doit aussi éviter les interférences politiques dans le secteur minier pour encourager et inciter les investissements étrangers. Enfin, le Gouvernement doit lutter contre la mauvaise campagne entretenue sur la chaine d’approvisionnement (traçabilité) des minerais congolais. Bref, les autorités congolaises doivent travailler pour améliorer la perception-pays à l’extérieur.
Download: RAPPORT SARW Final.docx 1 (1)
[1] Dr Claude Kabemba, Prof. Donat Kampata, Prof. Arthur Kaniki, Paulin Mawaya, Jacques-Prosper Ngandu, Léonide Mupepele, Me Georges Bokondu, Me Fabien Mayani, Prof. Dieudonné Tambwe, Jean Jacques Kayembe, Marie-Anne Mazangu, Pascal Kambale, Gilbert Kabwe Kazadi, Kaningu Shemlwango, Onya Shongo et Joseph Cihunda.
[2] SARW est une organisation pan Africaine qui s’investit dans la gouvernance des ressources naturelles, avec des bureaux en Afrique du Sud, RDC, Zambie et Zimbabwe.
